« L’hybridation entre distanciel et présentiel est une formidable opportunité pour le management responsabilisant »

La crise n’a pas épargné l’organisation des rapports humains dans les entreprises. Comment les Ressources Humaines peuvent-elles accompagner les transformations qui se jouent à vive allure ? MAESTRIUM a posé la question à Patricia Wendling, fondatrice du cabinet H/F Human Factor et auteure du livre Télétravail – Mode d’emploi, et à Alexia de Bernardy, auteure de Moteurs d’engagement : 365 actions pour mieux travailler ensemble et fondatrice de la WEbox, application qui stimule les communautés de managers pour passer à l’action sur des techniques managériales.

 

MAESTRIUM : Dès le début de la crise sanitaire, en mars dernier, les ressources humaines ont dû rapidement clarifier les contours du télétravail, puis motiver dans un deuxième temps un retour en présentiel. Pour finalement, dans le cas de nombreuses entreprises, mixer les deux. Comment la fonction RH accompagne-t-elle ces transformations ?


Patricia Wendling :
Au début de la crise, nous avons surtout veillé à ce que les personnes soient équipées pour télétravailler, et nous avons pu le faire grâce aux DSI, qui ont été d’un grand secours. Aujourd’hui, le mixe entre télétravail et bureau semble être la solution, car on a bien vu qu’il nous faut nos deux jambes pour avancer. Hier, nous avons fait face à la situation sans préparation, sans formation, sans accompagnement. Or, pour les Ressources Humaines, chacun de ces mots a une forte connotation. En effet, il nous faut désormais penser et co-construire le télétravail. Par ailleurs, les RH ont une autre tâche à mener : former ! Tant les managers que les salariés, car le télétravail est un changement comme un autre, et à ce titre, il s’accompagne. Il y a donc un plan de développement des compétences à mettre en place : utilisation des outils digitaux, gestion du temps, gestes et postures, management à distance, etc. Nous devons donc penser et co-construire le télétravail, mais aussi l’accompagner. Car ce n’est pas un « geste barrière » à déclencher en cas de crise : il doit être un mode de travail pérenne et efficace.

Alexia de Bernardy : Le passage au télétravail a été très rapide et a vite posé la question du télémanagement. Aujourd’hui, les RH se demandent comment fonctionner en mode hybride, avec des règles qui bougent en permanence. Comment maintenir l’esprit d’équipe, l’engagement ? Sur les plateformes de communauté de managers et de RH que j’anime, je vois qu’actuellement les questions portent sur l’ajustement entre télétravail et présentiel, sur la façon de gérer les éventuelles difficultés liées à la crise sanitaire que peuvent encore rencontrer les salariés. Comment libérer les dynamiques de groupe sans que les managers s’épuisent ? Comment mettre de l’informel, de la confiance, dans ce fonctionnement hybride ? Il y a un véritable phénomène de partage de bonnes pratiques qui s’organise. Ce qui en ressort, c’est notamment l’identification de personnes relais, ambassadeurs de la fonction RH sur le terrain. Des gens capables, aussi, d’apporter de bonnes idées. L’idée étant de créer de la concertation sur tous ces sujets, avec les collaborateurs. Ce qui est certain, c’est qu’on a fait un bond de quinze ans en avant dans la façon dont les RH et les managers collaborent. Cette co-construction est une réelle nécessité. Et les entreprises qui la mettent en oeuvrent sont celles dans lesquelles cela se passe le mieux.

 

 MAESTRIUM : Le télétravail et la sur-digitalisation associée ont laissé percevoir qu’une vie professionnelle 100 % « distanciée » n’est pas souhaitable. Quels enseignements en tirer, pour les collaborateurs comme pour l’organisation ?

Patricia Wendling : À mes yeux, le télétravail est un pharmacon, ce mot grec signifiant à la fois « remède » et « poison ». À bonne dose, on en voit les bénéfices, à mauvaise dose, les effets indésirables. Pour le moment, nous avons encore besoin de passer plus de jours en présentiel qu’à distance, parce qu’on apprend. Il faut trouver la juste mesure, pour faire disparaître les risques liés au surdosage, comme la dilution du lien d’appartenance. Cet apprentissage nécessite aussi que la culture d’entreprise et les pratiques managériales évoluent. Il faut se questionner : quelle place veut-on accorder à la confiance, à l’autonomie, à la qualité de vie personnelle des salariés, au droit à la déconnexion ? Comment l’entreprise peut-elle être gardienne de tout cela ? En fait, le télétravail a bon dos : le manque de confiance ou d’autonomie pré-existaient largement ! Seulement, ces problèmes ont été davantage visibles avec l’excès de télétravail.

Alexia de Bernardy : Rappelons que la racine du mot entreprise, c’est « faire des choses ensemble ». L’homme est un animal social, il a besoin d’échanger pour faire. En fait, la performance découle de la combinaison « engagements + moyens ». Avec la crise, les moyens se font rares… Donc les entreprises doivent générer de l’engagement. Et pour ça, les humains ont besoin de se voir ! L’avenir réside donc dans la capacité à tirer parti de ces modes hybrides : à distance, on peut très bien délivrer et cela apporte de la qualité de vie. Le bureau doit donc devenir le lieu social, où l’on va coopérer, brainstormer, faire des réunions enrichissantes. Ce qui est certain, c’est qu’on a avancé de manière fulgurante sur ce fonctionnement hybride. Et puis, il y a un autre enseignement : le manager ne pourra plus évaluer ses collaborateurs en fonction de leur présence, mais de leurs résultats. Il s’agit d’une réelle opportunité car, dans un monde gouverné par l’incertitude permanente, on n’a d’autre choix que de faire autrement, de libérer les initiatives. C’est une excellente nouvelle pour le management responsabilisant.


MAESTRIUM : On a aussi constaté le retour en force des questions de séparation entre vie professionnelle et vie privée, et de la relation entre le manager et ses équipes. Avez-vous des conseils à donner pour aller dans le bon sens, « malgré » ou « grâce » à ces phénomènes qui font désormais partie du quotidien ?


Patricia Wendling :
Normalement, ce que l’on a vécu pendant le confinement n’a rien à voir avec ce que l’on vivra, demain, en télétravail. L’enjeu, pour les entreprises, va être de poser des valeurs fortes et de s’en faire les garantes. Elles doivent sensibiliser, informer, poser des actes tangibles. Elles doivent clairement affirmer : « J’accorde de l’importance à l’équilibre entre la vie privée et la vie professionnelle, je ne veux plus voir de mails après 20 h car vos bons résultats ne peuvent se faire au prix de votre qualité de vie ». Elles doivent aussi veiller à ce que la charge de travail n’explose pas, donc promouvoir le droit à la déconnexion, inciter à la mise en place d’objectifs smart, à rebours de l’évaluation sur le temps passé au travail. Car le présentéisme est un vrai souci, chez nous. C’est important que l’entreprise veille à supprimer le micro-management. Nul besoin de surveiller à outrance, rappelons que manager, c’est servir ! Pour ériger un édifice vertueux, il faut donc faire place à la confiance, à l’autonomie, à l’esprit d’initiative, à la responsabilisation. S’assurer que la collaboration apporte à la fois de la performance à l’entreprise et de l’épanouissement aux salariés. Une fois qu’on aura intégré cela, on avancera dans la bonne direction.  

Alexia de Bernardy : Ce que j’entends, au sein des communautés que j’anime, c’est que le télétravail offre une formidable opportunité en termes de qualité de vie. Pour la relation entre managers et employés, cela nécessite la mise en place de KPI pour mesurer la valeur ajoutée de chacun, davantage de délégation, de management par la confiance, des objectifs de résultats. Mais cela fonctionne surtout pour les personnes qui ont de l’expérience : pour des jeunes diplômés qui viennent d’intégrer l’entreprise, le cadre doit être plus directif. Dans l’ensemble, si l’on pousse le trait, nous allons tous avoir la possibilité de devenir freelance. Par conséquent, la question de ce qui m’attache à un employeur va redevenir essentielle, parce que mon potentiel d’employabilité va être démultiplié. Cette tendance légitime encore plus le smart working, dans lequel chacun sait à quoi il sert. Les sociétés qui vont au bout de cette démarche sont les plus fortes aujourd’hui. Dans l’idéal, le manager doit développer une posture de chef de tribu pour être capable de s’assurer que chacun reçoit la motivation qui lui correspond.

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